Ceci n’est pas un roman. Tout y est vrai, même ce qui paraît le plus fou. À Lourdes, en Italie, en Espagne, au Mexique, au Brésil, j’ai enquêté sur les phénomènes les plus extraordinaires, les plus dérangeants, les plus jubilatoires qui soient. J’ai découvert des personnages inouïs, fauteurs de miracles ou miraculés, souvent confrontés au rejet, à la censure, à la persécution morale. J’ai reconstitué des situations et des destins qu’on a tout fait pour étouffer. Normal : rien n’est plus insolent qu’un miracle. Il se rit des lois communes, défie les autorités religieuses, provoque les sceptiques…
Quand Emile Zola, voulant démystifier le sanctuaire de Lourdes, choisit sur place deux tuberculeuses mourantes pour en faire les personnages de son roman et assiste, ébahi, à leur guérison instantanée, quand le bouillonnant Padre Pio, suspendu par le Vatican pour imposture mystique, donne la vue à une enfant née sans pupilles, quand une héroïne de la Résistance porte secours à un navire bombardé alors même que la Gestapo la torture dans une prison parisienne, quand une hostie se met à léviter en direct durant une messe télévisée ou prend la forme d’un muscle cardiaque en présence du futur pape François, la raison est en droit de s’offusquer. D’autant que tous ces cas ont été authentifiés par des témoins, des scientifiques, des historiens, des instruments de contrôle.
Alors… Qu’on ait la foi ou non, le meilleur moyen d’explorer ce qui nous dépasse n’est-il pas de réconcilier sans cesse l’esprit critique et la faculté d’émerveillement ? Regarder le miracle en face, c’est s’interroger sur soi. C’est remettre en question ses limites. Provocations divines, ou pouvoirs insoupçonnés de l’être humain ? L’objectif de ce livre n’est pas d’inciter à croire, mais de donner à penser, à réfléchir, à rêver…
La genèse du livre
Un miracle a bousculé mon enfance. Je grandissais à Nice, mais je passais mes rêves dans ma lointaine famille flamande, où s’était produit un phénomène qui me faisait vibrer d’émotion et pouffer de rire : une guérison inexpliquée aux allures de gag.
À 45 ans, Pierre De Rudder, ouvrier agricole, avait eu la jambe gauche broyée par la chute d’un arbre. Refusant l’amputation, il se laissait mourir de gangrène dans son lit, lorsqu’il apprend une nouvelle qui stimule ses dernières forces : on est en train de construire à Oostakker, à un kilomètre de chez lui, une copie de la grotte de Lourdes. Dès l’ouverture au public, il décide d’aller y prier pour que ses souffrances s’arrêtent. En se traînant sur ses béquilles, aidé par son épouse, il met deux heures à atteindre la grotte. Et là, devant témoins, il s’illumine et déclare qu’il est guéri. Après avoir gambadé autour de l’édifice en remerciant la Vierge Marie, il rentre chez lui au pas gymnastique, suivi par sa femme essoufflée portant les béquilles.
Le lendemain, les médecins l’examinent. La jambe et le pied ont un volume normal, les os rompus semblent ressoudés et la gangrène a disparu. Il reprend son travail, sans aucune séquelle, et vivra en pleine forme durant vingt-trois ans. Authentifié par diverses expertises médicales, définitivement prouvé après sa mort grâce à une autopsie, ce miracle à la belge vaudra à Pierre De Rudder, après bien des tracasseries, d’être homologué par l’Église en tant que miraculé officiel de Lourdes. Un miracle « hors les murs », dans une réplique en stuc, sans eau miraculeuse ni souvenir « porteur » d’une quelconque apparition de la Vierge. Comme quoi le faux peut susciter de vrais prodiges, pour peu que l’espoir s’en mêle.
On ne s’étonnera donc pas que mon intérêt pour les phénomènes extraordinaires (et surtout pour ceux qui les vivent) demeure indissociable de cette insolence provocatrice qui m’a si tôt marqué. Les personnages que vous allez rencontrer dans ce livre, qu’ils soient bénéficiaires, victimes ou vecteurs de miracles, risquent fort de changer, comme ils l’ont fait pour moi, votre vision de la vie et de la nature humaine…